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Deux koalas à BA
30 avril 2012

Le BAFICI et autres festivités...

Bonjour, bonjour,

Le temps d'un article, laissons de côté les voyages, le Brésil, et le soleil, pour se reconcentrer sur l'Argentine en elle-même, et sur notre vie ici à Buenos Aires, qui, j'en suis sûr, en passionne plus d'un.

Car depuis notre rentrée à Buenos Aires, "à la maison", nous n'avons pas chômé ! Enfin, un peu en fait, puisque malheureusement, nous ne travaillons pas autant qu'au premier semestre, et ne pouvons plus nous permettre des folies, du genre aller au restaurant plus d'une fois par semaine. Surtout ça en fait. Mais on se console en allant manger les fameuses brioches de la pâtisserie d'en face, qui constituent un bonheur hebdomadaire, et en dépensant les calories accumulées par la dégustation de ces mêmes brioches au gimnasio du coin.

Tout de même, nous avons pu partir pour Cordoba le mois dernier, ville très marquée par la présence des jésuites il y a deux siècles. C'était très sympa, mais ce n'est pas vraiment de cela que je voudrais parler dans ce post, cela fera l'objet d'un autre article.

Mais de quoi alors ? Principalement du BAFICI, le Festival international du cinéma independant de Buenos Aires. Pendant une dizaine de jours (du 11 au 22 avril dernier), cinq ou six cinémas ont ainsi projeté plus de quatre-cents films, venus de tous les horizons, de tous les pays et de tous les genre. L'occasion pour nous, qui attendions ce festival depuis longtemps, de découvrir des films étonnants, choquants, émouvants, ennuyants parfois, mais surtout, de voir des films qu'on ne verrait jamais ailleurs. Le Festival se décompose en une dizaine de sections. Il y a la compétition internationale, la compétition argentine, la compétition de courts-métrages, et ensuite de nombreuses autres, allant de la rétrospective sur un auteur en particulier, à une compilation de films sur un même thème. De nombreux films argentins évidemment, mais aussi des films français (Tomboy, L'Apollonide: souvenirs de la maison close), suisse, brésilien, cambodgien, chinois, etc.

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Puisque je sais que ça vous intéresse, un petit point sur les films que nous avons vu. Car sur une dizaine de jours de festival, nous avons vu... dix films, soit un film par jour, tous projetés au cinéma du centre commercial d'Abasto (dans le quartier Once), temple du consumérisme, de la mal-bouffe et du McDo Kasher. C'est d'ailleurs dans ces endroits-là que les contrastes et les inégalités argentines frappent avec le plus de force. 

10 films donc, répartis sur une semaine. Il faut savoir que la sélection était difficile : la plupart des films nous étant largement inconnus, nous avons choisi au hasard parfois, fonction de ce que le titre ou le synopsis nous évoquaient..

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A Lorient, Camille, tombe enceinte. Pour ne pas être seule, elle va convaincre ses amies du lycée, puis d'autres, de faire la même chose pour qu'ensemble, elles puissent construire un nouvel avenir et une autre vie, différente de celle qu'elles constatent être celle leurs parents. Le film que réalisent Delphine et Muriel Coulin est éminemment politique. Pas parce qu'il évoque la contraception ou l'avortement (qui ne sont de toutes façons jamais questionnés ici), et pas seulement par tout ce qu'il touche en filigrane (la guerre en Afghanistan, le sort des anciennes villes industrielles comme Lorient, où les jeunes font des soirées dans les vieux bunkers), mais parce qu'il filme le développement d'un espoir, d'une nouvelle vision du monde. Chacune de ces 17 filles ne se bat pas pour la même raison, mais toutes, ensemble, ont l'envie (la prétention, ou la bêtise diront certains, ces "adultes" qui ne les comprennent pas) de construire une nouvelle société, qui leur permettrait de faire un enfant à 17 ans, et de profiter de leur jeunesse plus tard. Une nouvelle société sans hommes, relégués au simple rôle de "donneur", et qui divisent plus qu'ils ne rassemblent quand ils réapparaissent en tant qu'amant. Construit comme une fable, c'est là que le film pêche, à mon sens. La fin ressemble presque à une leçon de morale, et c'est ce manque de recul et de perspective vis-à-vis de ces filles et de leurs actions qui fait perdre, selon moi, au film un peu de sa justesse et de sa finesse.

 

Low Life

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Un autre film français, plus particulier celui-là. Un groupe de jeunes bourgeois s'est réuni pour aider les immigrés clandestins contre la police, et pour régler leurs problèmes avec la vie, avec l'amour et l'amitié. Low Life est un véritable film de Résistance, une Résistance au même sens que celle qui existait durant la 2nde Guerre Mondiale, cette fois ci composée de jeunes bourgeois qui cherchent un sens à leur vie en tentant d'en sauver d'autres. Les analogies à la Seconde Guerre Mondiale ne manquent d'ailleurs pas (l'afghan immigré obligé de se réfugier dans une chambre "secrète", dont la porte est dissimulée derrière une armoire, les références explicites à la Gestapo ou à l'Occupation, etc). Le film dépeint une France en pleine guerre civile, où la Police n'est plus que l'instrument de la xénophobie d'Etat, et c'est là qu'il est le plus fort. Nécessaire et saisissant, il pousse quasiment à prendre les armes. La musique, enivrante et hallucinée, se mêle aux scènes carrément mystiques durant lesquelles les immigrés effectuent une sorte de cérémonie vaudou autour de leur Lettre d'Expulsion du Territoire Français. Cette lettre, c'est "l'arrêt de mort", celui qui la porte connait inévitablement un destin fatal. La caméra se fait lente, ralentie, fluide mais destructrice. Malheureusement, à côté de cela, le film s'évertue à décrire les relations amoureuses entre tous ces jeunes déjà condamnés, et alors, la théâtralité du jeu et des dialogues, le vide de ces paroles clamées comme si elles étaient une poésie maudite posent une distance certaine entre le spectateur et ce qu'il voit au point que le ridicule n'est jamais très loin. Il est difficile de rentrer dans ce film, mais difficile ensuite d'en sortir.

Douch, le maitre des forges de l'enfer

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Douch est l'homme derrière la prison S21centre de torture et de mort durant le règne des Khmers Rouges. Ce seul centre a fait plus de 12 000 victimes, goutte-d'eau dans l'océan d'un régime qui en a fait 3 millions (plus d'un quart de la population). En 2009, Douch est jugé au Cambodge pour ses actions. Rithy Panh y voit alors une opportunité pour filmer et interviewer. Plus de 300 heures d'interviews ont donc été ramenées à 2, durant lesquelles Douch se révèle devant la caméra du réalisateur. Difficile de condenser ces deux heures d'interviews en quelques lignes, mais il est indéniable que le documentaire choque. Alors qu'on s'attend à un véritable monstre, un homme prêt à détester, on se retrouve devant un homme cultivé, citant Weber ou Paul Valéry en français, et analysant le régime khmer-rouge "de l'intérieur". Douch est responsable de la mort de milliers de personnes : dans le discours khmer-rouge, il s'agit moins de tuer que d'effacer et d'anéantir (le corps, l'image, le souvenir) afin d'éliminer l'ancien peuple, et le remplacer par le "Nouveau Peuple". Lui, Douch, n'a jamais tué personne : il plaint autant "ceux qui ont été tués, que ceux qui ont tué". Il regrette ce qu'il a fait, et pourtant, nous montre fièrement les archives où sont listées les personnes qui ont été torturées dans sa prison puis tuées. Tout aussi fièrement, il nous explique le fonctionnement de la prison : à quel moment il décidait d'anéantir une personne, ou au contraire de la garder pour encore un interrogatoire. Où était disposés les corps, ce qu'il en restait. Qui prenait les décisions. C'est lui, il est fier de son travail. Il dit n'avoir jamais torturé personne, d'autres ont d'autres souvenirs. Ce n'est pas seulement la "banalité du mal" que l'on voit devant nos yeux, c'est le rouage qui fait fonctionner le mécanisme du mal et qui l'accélère : il ne répondait pas seulement aux ordres, il y croyait. Le résultat, c'est l'anéantissement total de l'humain et de son individualité. J'en parle mal, mais on ressort du film assez lessivé: l'humain n'a décidément aucune valeur.

The International Sign for Choking


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Bon, ce film là ne vaut pas vraiment la peine qu'on s'y attarde à mon avis. Réalisé par un américain, il raconte l'histoire d'un américain (le même) qui vient à Buenos Aires en principe pour écrire un scénario, mais en vérité pour retrouver une fille. La mise en scène cherche, à l'aide d'une faible profondeur de champ qui progressivement s'agrandit, à faire comprendre que ce mec est incapable de se créer une vie sociale, de s'adapter à la société, et est profondément seul. Bon. L'idée est usée jusqu'à la moëlle, puisqu'il semble n'y avoir qu'elle dans le film. Toutes les pistes lancées par le scénario sont abandonnées rapidement et on ne saura rien, ni sur la fille, ni vraiment sur le scénario, ni vraiment sur la romance qui lie le personnage principal à sa voisine. A force de couper toutes les scènes avant que quelque chose d'important ne soit dit, a force de ne rien dire pour faire comme si on disait quelque chose, le film ne raconte rien. Des personnages décadrés, des long silences, pour ne rien développer au final... Et puis Buenos Aires n'est même pas filmée.

Un Amour de Jeunesse

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Encore un film français ! Un beau film, un peu long par moments, mais touchant et juste, merveilleusement émouvant sur ce thème pourtant traité à de maintes reprises déjà qu'est le premier amour. Un amour dont on ne guérit jamais vraiment est dépeint, mais aussi un amour terriblement formateur et déterminant, auquel on pense toujours avec un pincement au coeur et une grande nostalgie. Un beau film, en bref. 

Urgent ou à quoi bon exécuter des projets puisque le projet est en lui-même une jouissance suffisante

 Alors là... Probablement la séance de cinéma la plus particulière de ma courte vie. J'avais choisi ce film sur son titre, que je trouvais particulièrement intéressant. Bon, j'entre dans la salle, quasi pleine d'ailleurs, le film commence... La musique d'abord (du rock des années 50-60, je crois), puis l'image...  Et là on entre clairement dans un autre monde. C'est une femme, qui fume au bord d'une fenêtre, à Paris, on imagine. Pas de son interne, juste la musique. La chanson se termine. L'image filmée reste. Une nouvelle chanson : une autre image. On ne peut pas parler de scène puisqu'il n'y a pas d'action, pas de séquences, pas de lieu... Ce n'est pas un documentaire non plus, puisque rien n'est raconté. Juste des images filmées qui se succèdent, décalées avec la musique qui semble avoir une espèce de vie propre dont on ne comprendrait pas le sens. Parfois, on voit quelqu'un, qui semble être professeur ou philosophe, parler face caméra, on ne l'entend pas, seulement la musique. Une autre fois, c'est un concert qui est filmé, le chanteur en gros plan, sans son, juste la chanson externe, qui n'a rien à voir. L'image se distord, les couleurs se mélangent, sur une même image, la partie gauche verte, la droite est jaune, et ça change indéfiniment. Parfois, une sorte de cercle blanc apparait sur l'image, puis plusieurs fois très vite, ça clignote, ça fait mal aux yeux

Après une demi-heure, on a arrêté d'essayer de comprendre. La moitié de la salle est déjà partie, et le reste a laissé tomber ses pop-corns. Car le plus drôle c'est de faire attention aux réactions totalement désemparées des spectateurs dans la salle, de voir ces gens qui sont entrés avec leur nachos et leur pop-corn et qui doivent se demander, comme tout le monde, ce qu'ils foutent là. Le contraste est assez comique. Au bout d'une heure, le réalisateur a clairement abandonné les images : il n'y a plus que la musique (quasiment l'intégrale des Velvet Underground) et de temps en temps, une image, incompréhensible, comme une fulgurance ou une réminiscence de ce que nous pensions être le cinéma, mais ne l'est plus vraiment.

Le réalisateur est français, il s'appelle Gérard Courant : il a aussi réalisé le Cinématon, le film le plus long du monde, en perpétuel développement puisqu'il est constitué de portraits très courts de personnages connu du monde des arts, des portraits muets, de 3 minutes, durant lesquelles la personne filmée est libre de faire tout ce qu'elle veut... Vous pouvez en voir quelques uns sur le site du cinéaste si ca vous intéresse.

Le Rapport Karski (et Esas Voces que Curan)

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Nous étions venu voir le Rapport Karski, nous avons finalement vu deux documentaires.

 

 

 

Le premier "Esas Voces que curan", suit une femme dans la jungle péruvienne : elle est chaman, et guérit grâce à la drogue de la forêt amazonienne : l'ahayuasca (pour ceux qui suivent : celle dont nous avions entendu parler à Puerto Maldonado et qui permettait de guérir de l'addiction à l'alcool apparemment... On regrette d'autant plus de ne pas avoir essayé!), et grâce à ses chansons. Cette femme est chaman parce que sa mère l'était, et sa grand-mère etc : c'est de famille. Elle est atteinte d'un cancer cervical, et tente à la fois par le biais de la médecine "normale" et des médecines "traditionnelles" de se guérir. Mais l'intérêt du documentaire porte plutôt sur la manière de vivre en perpétuant des traditions ancestrales dans cette famille qui réussit le difficile pari de préserver sa particularité culturelle, et mieux encore, d'en comprendre le sens, sans pour autant rejeter la modernité, puisque la chaman a recours a la médecine "normale" également, le tout dans un monde menacé d'uniformisation. Documentaire carrément rafraichissant même si je me suis un peu assoupi (haha).

 Nous étions surtout venu voir le Rapport Karski, de Claude Lanzmann. Le documentaire était très intéressant puisque c'est la version longue de l'interview de Ian Karski, membre de la résistance polonaise qui écrivit un rapport sur l'extermination des juifs en Pologne, et qui fut reçu par Roosevelt pour en parler... mais n'en parla finalement pas tant que ça. Ce que raconte Ian Karski, c'est comment il fut reçu, comment il ne fut pas cru : pas parce qu'on pensait qu'il mentait, mais parce qu'on ne le "croyait pas". La phrase de Raymond Aron, citée en exergue du documentaire, résume tout : alors qu'on lui demandait s'il avait eu connaissance de l'extermination des juifs durant la guerre, il avait répondu "J’ai su, mais je ne l’ai pas cru, et puisque je ne l’ai pas cru, je ne l’ai pas su". Le documentaire de Lanzmann (une très longue interview de 40 min en fait) pose la question de l'information, de ce que c'est que de savoir. La Shoah peut elle être "comprise" par l'Humanité, ou bien ne rentre-t-elle pas, comme l'explique Karski, dans notre "champ de conscience" ?

La Araña Vampira

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Film argentin, qui a gagné le prix du meilleur film argentin au sein de la compétition internationale, qui vaut vraiment la peine d'être vu. Le personnage principal (Jeronimo) est en voyage avec son père, ils sont allés passer quelques jours dans une maison dans les bois, dans les environs de Cordoba, pour calmer les crises d'angoisse de Jeronimo. On comprend assez vite que quelque chose ne va pas avec la mère, mais on ne saura pas vraiment quoi. Entre le fils et le père, la communication passe mal. La première nuit, Jeronimo se fait piquer par une énorme araignée... A l'hopital, on lui dit que ce n'est rien, mais les gens des bois, les "locaux" lui expliquent : il a été piqué par "l'araignée vampire" : s'il n'est pas piqué de nouveau par une araignée du même genre, il va mourir. Jeronimo va donc devoir suivre un espèce d'illuminé dans les bois et dans les montagnes pour retrouver ces fameuses araignées. Sur cette base étrange, le film développe une quête éperdue pour retrouver la vie, et retrouver du sens. Le film se divise clairement en deux parties : la première dans la cabane, et la deuxième dans les montagnes, à la recherche des araignées. Tout le film est une sorte de rite initiatique aux accents surnaturels, un rite où Jéronimo doit laisser derrière lui son père, la justice, son guide... Se sacrifier, pour pouvoir survivre et donner un sens à sa vie. En quelques mots, c'est un beau film, sur le sacrifice, sur la famille aussi, et sur le passage à l'âge adulte... Il y a toutefois quelques maladresses (le personnage du guide totalement fou est insupportable et n'apporte pas grand chose), mais une vraie vision et une vraie croyance en ses personnages qui est belle à voir.

L'Apollonide, Souvenirs de la maison close

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Je n'écrirai pas beaucoup sur ce film, parce que sur internet on trouve des tonnes de choses et que j'ai déjà trop écrit sur les autres, mais c'est probablement le film le plus marquant que nous ayons vu durant ce festival. Triste, fascinant, envoutant, politique, L'Apollonide est tout cela à la fois. Il nous fait entrer dans une maison, dans cette société où chaque prostituée se bat contre sa condition, ne l'accepte jamais vraiment, où même Madame (la tenante de la Maison Close) doit lutter pour survivre et pour faire vivre ses deux enfants, et où chacune meurt un peu plus vite. L'immersion au sein de la Maison Close est totale, on n'en ressort que bouleversée, ou bien défigurée. Techniquement, le film est magnifique, et les actrices parfaites. Parfois le film devient horreur, parfois il devient comédie : L'Apollonide mélange tous les genres de la même manière que les prostituées se mêlent aux aristocrates (pas seulement de simples clients, mais des être humains) dans le petit salon, et recréent le monde de l'extérieur, ou que les temps, passé, présent et futur, se rencontrent. Il ressort de tout cela un malaise latent (comme dans cette scène où une des prostituées, Léa, doit "faire la poupée"). Et puis un lieu, la maison close, qui renferme tous les espoirs et les désespoirs de l'humanité et de tous les temps. Le film se termine sur une curieuse scène qui interpelle le spectateur puisqu'un des personnages principaux, la prostituée Clotilde, est transposée aux temps modernes, et on la voit descendre de la voiture d'un client Porte Maillot, et recommencer à guetter le client parmi des autres prostituées, au bord de la route. Alors, pour ou contre les maisons closes? L'Apollonide ne livre pas de réponse facile mais nourrit superbement le débat.

Bon bon voilà. Je pensais pas que j'écrirai un truc aussi long qui me prendrai tma journée, du coup on parlera de notre maison, et de tout plein de chose la prochaine fois ! Enfin non, car la prochaine fois, retour à Rio !

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